Envie de congés illimités ? Il va falloir bosser

En septembre 2014, Richard Branson, patron de Virgin, annonçait que 160 employés pourraient bénéficier de vacances, sans préavis et pour aussi longtemps que nécessaire. Une idée déjà appliquée par d'autres, mais qui ne présente pas que des avantages.

 
Partir en vacances quand on le souhaite, pour autant de temps qu'on le souhaite. Un rêve pour la plupart des salariés. C'est déjà une réalité dans certaines entreprises, notamment anglo-saxonnes, qui ont décidé de mettre en place une politique dite d'unlimited leave, ou « congés payés illimités ». Le principe en est simple : le salarié est libre de prendre autant de congés qu'il le souhaite au moment où il le souhaite, sans que ceux-ci soient comptabilisés et sans avoir à en référer à ses supérieurs hiérarchiques.
 
Si elle n'est pas la première entreprise à avoir créé ce genre de politique, Netflix est sans aucun doute celle qui l'a popularisée. Dans un document diffusé sur Internet par son PDG, Reed Hastings, et consacré à sa « culture de la liberté et de la responsabilité », le diffuseur de vidéos en ligne, arrivé sur le marché français en septembre dernier, détaille son fonctionnement.
 
« Nous avons décidé de nous concentrer sur le travail que nos employés accomplissent, pas sur le temps qu'ils passent au bureau, précise le texte. Au même titre que nous n'obligeons pas nos salariés à être au travail de 9 heures à 17 heures, nous ne les obligeons pas à prendre un nombre fixe de congés. » La politique de Netflix en terme de vacances repose sur les deux piliers que sont la liberté de chaque employé de gérer son temps comme il l'entend et la responsabilité de chacun vis-à-vis de l'entreprise, pour éviter les abus ou les injustices.
 

 

Initiative et responsabilité individuelle

 

Cette conception des congés illimités découle indirectement du management par les objectifs (MPO), tel qu'il a été conceptualisé dès 1954 par Peter Drucker, un professeur de sciences politiques et de management américain. Le principe : remplacer le travail vu comme une accumulation de tâches à effectuer par une conception de l'emploi basée sur des objectifs à atteindre, négociés entre le patron et son employé. Un mode de management qui fait la part belle à l'initiative et à la responsabilité individuelle.
 
En effet, avec le MPO, le salarié ne répond à sa hiérarchie qu'en terme d'accomplissement des objectifs fixés au terme d'une période donnée, et non plus en terme de méthode, d'organisation ou de temps de travail. En détachant la réalité du travail effectué du nombre d'heures passées « au bureau », Peter Drucker a ouvert la voie à l'idée de congés illimités.
 
Difficile pourtant de ne pas voir son empreinte dans les propos de Richard Branson, le président-fondateur du groupe Virgin, l'un des derniers à avoir adopté cette politique de congés illimités pour certaines de ses filiales au Royaume-Uni et aux États-Unis. « C'est à l'employé seul de décider quand il veut prendre une heure, une journée ou un mois hors de l'entreprise, explique le milliardaire sur son blog. Bien entendu, nous nous attendons à ce qu'il ne prenne cette décision qu'à la condition d'être 100 % certain que lui et son équipe sont à jour dans leurs projets et que son départ n'entraînera aucune difficulté pour l'entreprise – ou, de fait, pour sa propre carrière. » 
 

La France peu réceptive

 

Les congés illimités reposent donc sur un changement de paradigme non seulement dans la conception du travail lui-même, mais également dans celle des congés payés. Alors que le droit du travail français considère les congés comme un droit lié uniquement à la durée travaillée au sein d'une entreprise, le concept de congés illimités en fait un choix que doit être prêt à assumer chaque salarié, voire une forme de récompense pour résultats obtenus.
 
C'est ce qui explique, en partie en tout cas, que l'idée reste très marginale dans l'Hexagone, où la loi reste très protectrice pour les salariés. Lorsque la start-up Kwaga, créatrice d'un logiciel de gestion des contacts, a annoncé avoir recours à cette politique, elle s'est attirée une considérable attention médiatique. Pourtant, la dizaine de salariés de Kwaga restent une exception dans le paysage social français.
 

 
De fait, une politique de congés illimités crée un certain nombre de discriminations entre les employés. C'est ce qu'a constaté Patty McCord, spécialiste des ressources humaines chez Netflix, auteure avec Reed Hastings du document cité plus haut. « Certaines personnes se sont demandé si notre politique n'allait pas manquer de cohérence, si certains managers n'accorderaient pas plus de libertés que d'autres, remarque-t-elle dans la Harvard Business Review. Mais je trouvais la question de la justice plus inquiétante. Les employés les plus rentables et les plus efficaces bénéficient toujours d'une plus grande liberté d'action, c'est incontestable. »
 
En fondant la possibilité de prendre des congés sur la performance, les entreprises qui ont choisi les congés illimités prennent également la décision de favoriser la productivité, l'efficacité chiffrée sur tout autre outil de jugement du travail des employés. C'est le revers de la médaille du MPO et de ce système.
 

Logique de l'honneur et logique de contrat

 

L'autre limite est plus psychologique et culturelle. Le principe de congés illimités, puisqu'il repose sur une relation de confiance mutuelle entre l'employé et sa hiérarchie, est particulièrement adapté à la logique contractuelle qui régit les relations professionnelles aux Etats-Unis. Il l'est beaucoup moins dans la culture d'entreprise hexagonale, qui repose sur ce que le sociologue français Philippe d'Iribarne appelle la « logique de l'honneur ».
 
Une logique qui implique une relation affective au travail, où la fierté personnelle et une forme d'honneur tiennent lieu de moteur, et où chacun accepte mal d'être remis en cause. Remplir ce que l'on considère comme ses devoirs est perçu plus important que de respecter un contrat : dans cette optique, difficile de prétendre personnellement à des vacances à durée indéterminée.
 
Comment par ailleurs justifier les différences de traitement entre salariés et éviter la stigmatisation de ceux qui prennent plus de congés ou, au contraire, n'en prennent pas du tout pour s'assurer de remplir leurs objectifs ? Aucune entreprise ayant recours aux congés illimités ne semble avoir tenté de répondre à la question. Dans un système qui repose in fine sur l'autocontrôle, sur la capacité de chacun à juger de la qualité de ses efforts en vue d'un objectif, difficile en effet de fixer un référentiel commun de la « bonne durée » de travail ou de congés.
 
Et ce d'autant que celle-ci ne dépend finalement que de l'entreprise : puisque la durée des congés accordés aux employés dépend en premier lieu de la réalisation d'objectifs à une échéance donnée, il suffit à une entreprise d'agir sur les objectifs et/ou l'échéance pour agir, indirectement, sur la durée des congés. Les entreprises qui adoptent l'unlimited leave, contrairement aux ambitions qu'elles affichent, ne perdent donc pas toute forme de contrôle sur les congés de leurs salariés.
Vincent Poumier

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