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Dépression professionnelle : un trouble encore mal diagnostiqué

On parle beaucoup de stress professionnel, non sans raison : il semble que 30% des salariés de l’Union européenne aient un niveau de stress trop élevé. On parle de plus en plus de burn-out (l’épuisement affectif et le désengagement du travail). Il faudrait sans doute parler davantage des dépressions au travail. En effet, s’il est vrai que le travail n’est pas toujours la cause principale de l’état dépressif d’un travailleur, il faut toutefois reconnaître que ce trouble constitue un problème majeur du monde du travail. Un arrêt de travail sur dix est dû à une dépression. La dépression est en passe de devenir la deuxième cause d’invalidité (après les maladies cardiovasculaires). C’est le principal trouble associé aux suicides. Au total, il mène à plus de décès que les accidents de la route.

 

Le travail peut apporter des gratifications essentielles, pas seulement matérielles, mais il est souvent source de souffrances. Au XXe siècle, il est devenu très important pour l’estime de soi, tandis qu’il exige de plus en plus de compétences cognitives, émotionnelles et relationnelles. Les chefs d’entreprise, notamment, sont souvent épuisés par le nombre et la diversité des tâches, les heures de travail, l’isolement.`

 

La dépression est parfois diagnostiquée à tort. Plusieurs dysfonctionnements corporels génèrent un tableau comparable. C’est notamment le cas des apnées du sommeil, dont souffrent environ 5% de la population et 15% des personnes de plus de 70 ans. D’autre part, la dépression est souvent mal ou pas diagnostiquée, et les traitements laissent fréquemment à désirer. Beaucoup de gens recourent trop vite aux antidépresseurs, tandis que d’autres, gravement déprimés, souffrent inutilement de ne pas en prendre.

 

Vers une sensibilisation des médecins et des dirigeants

 

Le psychiatre Marc Willard dirige un cabinet spécialisé dans la prévention de la dépression professionnelle. Il a publié deux ouvrages sur sa spécialité : La dépression au travail (éd. Odile Jacob, 2012), destiné au grand public, et Soigner la dépression professionnelle par les TCC (éd. Elsevier Masson, 2013), qui s’adresse surtout aux médecins et aux psychologues du travail, mais que tous les médecins et tous les psychothérapeutes ont intérêt à lire. Dans ces livres, où chaque mot a été pesé en vue de fournir en toute clarté un maximum d’informations pertinentes, l’auteur analyse les facteurs de dépression, ce qui le conduit à parler notamment du harcèlement, des personnalités difficiles, mais surtout de l’organisation du travail et du management.

 

L’auteur examine longuement les remèdes efficaces, ce qui l’amène à présenter les ressources des thérapies cognitives et comportementales, une mise au point up-to-date sur l’usage des antidépresseurs et les apports de la psychologie scientifique pour une gestion à la fois humaine et efficace de l’entreprise. Il souligne l’importance, pour les dirigeants, de ne pas seulement se sensibiliser ou se former à la gestion du stress, mais de s’informer également sur l’identification et la prévention des dépressions.

 

Burnout et dépression : l’impact sur la prise en charge

Tout en observant un building en flamme à New York, Le docteur H.J. Freudenberger (1927-1999) créa une métaphore, celle de l’épuisement professionnel qu’il baptisa  « burnout » ; ses patients après avoir été passionnément enflammés par leur engagement dans leur travail se retrouvaient après quelques années réduits en cendres.

 

Il insista ensuite avec à propos sur le déni de la reconnaissance des symptômes d’alerte dans lequel un employé en risque de burnout se trouvait. Mais en associant l’épuisement professionnel à la dépression[1],  sa théorie  prometteuse continue aujourd’hui d’envoyer en congé de « maladie » avec antidépresseurs des milliers de travailleurs.

 

Une lecture approfondie du texte de Freudenberger amène à quelques nuances, il spécifie  le côté « passager » du burnout par rapport à une permanence de l’état dépressif, (c’est sa perception personnelle de la dépression et pas celle de l’auteur)  la présence d’une « culpabilité » chez les dépressifs et la présence d’une « colère » chez les personnes en burnout.

 

Bien que l’origine du burnout soit multifactorielle, en consultation privée on note deux types d’employés en  risque de burnout; ceux  mécontents  qui irritent leur entourage par la revendication d’une reconnaissance et/ou par manque de pouvoir décisionnel ayant alors un impact sur la qualité de leur travail.  Et les autres, extrêmement polis et agréables, plus soumis qui acceptent une  surcharge de travail sans pouvoir la refuser et que l’on retrouve fidèles au poste après trois ou quatre reprises de leurs sociétés, hollandaise, française, chinoise…., chaque reprise ajoutant une fonction et une culture d’entreprise différente à celles d’origine.

 

Freudenberger  parle d’une dépression qui « peut » être connectée à un burnout et seulement dans certains aspects compartimentés de sa vie soit au travail: « à contrario du dépressif écrit-il, la personne en burnout pourra rentrer chez lui et jouer au tennis[2] »…

 

La personne à risques de burnout en 2014 est plutôt isolée par un trop grand investissement dans son travail et n’a pas forcément ni temps ni les moyens d’une partie de tennis.

 

Le burnout et la dépression

 

Il s’agit de décoder le sens des larmes liées à la tristesse et le sens des larmes d’effondrement, celles liées à l’épuisement. En entretien de prévention du burnout, une personne épuisée ne présente pas les symptômes d’une personne en dépression.   

 

Cette pratique de l’entretien démontre que ces hommes et ces femmes craignent le congé de maladie qui,  lorsqu’il est octroyé les rendent paradoxalement anxieux même si ils sont au « repos ». Les mails incluant les tâches continuent d’arriver, les réunions s’entassent dans les agenda IT et l’angoisse du travail non fait s’ajoute à la  crainte de perdre son emploi, son statut et son salaire.

 

Immanquablement, tout conflit personnalisé présent ou latent dans l’entreprise avec l’employé fera craindre à l’absent que son statut est en péril. Cette anxiété est entre autre la raison du déni, du pourquoi ce perfectionniste va aller jusqu’au bout de ses limites en niant les premiers symptômes d’alerte qui auraient du lui faire lâcher prise, se recentrer sur lui même et remettre en question son refus de se reposer.   

 

Dans les cas spécifiques de harcèlements, pourvoyeurs entre-autres de risque de burnout,  l’analyse s’affine. En effet il s’agit d’un lien pathologique entre deux personnes ; le harceleur et le harcelé.  Certaines personnes, qui sont dans l'abus de pouvoir et le « déni de l’autre, cad qu’il n’a aucun droit au chapitre» peuvent par stratégie pousser à bout une personne qui les « dérange », celle-ci va alors « harceler » pour défendre ou préserver ce qui doit l’être. C’est  alors dans certains cas uniquement, la personne qui a le pouvoir qui dépose plainte pour harcèlements pour tenter de détruire encore plus la personne mise à l’écart. Le but étant de la maintenir « faible,  sans pouvoir ou sans ressources ».  En prévention de burnout, un professionnel aidera à faire réaliser une, (maximum deux) demande de négociation écrite reprenant les faits. Lorsque cette requête est niée sans aucun respect pour la personne qui la formulée,  on travaillera la mise à distance  du stratège toxique et l’estime de soi plutôt que l’avènement dans le burnout ou la dépression.

 

Un épuisement peut aussi être lié à l’organisationnel et corolaire d’une suggestion ou d’une annonce de fermeture d’entreprise. Selon Rosselini,[3],  les traitements pour causes de stress triplent chez les employés après une annonce de coupe budgétaire. « Nous vivons une finale de Koh-Lanta ; nous sommes les derniers à se maintenir coute que coute sur le poteau » est une description donnée par un employé  ayant durement subi plus que vécu  une restructuration avec réduction des postes. Cette personne a lancé sa propre activité et  retrouvé son pouvoir décisionnel.

 

Un employé ou un indépendant en début de burnout est-il « malade » ? Dépressif ? Ou épuisé ?

 

Doit-il consommer des antidépresseurs parce qu’il est épuisé ?

 

Comment va agir l’antidépresseur sur le travailleur épuisé?

 

On est interpellé et inquiet par la lecture du livre du docteur J. VIRAPEN, ex président et directeur général d’une entreprise internationale pharmaceutique;   … « Il suffit de lire la notice et les effets secondaires inquiétants de l’antidépresseur … Plus il y a d’antidépresseurs, plus augmente le nombre de déprimés. Les antidépresseurs provoquent la dépression. Il faut maintenir le dépressif dans sa maladie chronique. Les maladies chroniques garantissent un chiffre d’affaires pérenne à l’industrie, alors qu’un médicament qui guérirait tuerait le marché[4]». Son ouvrage qui met en cause la face sombre de l’industrie pharmaceutique est remarquablement argumenté et documenté.  Cette absence d’éthique se voit confirmer par B. Toussaint, directeur éditorialiste de la Revue Prescrire et par de plus en plus d’experts indépendants qui se pose la question de la protection sociétale et éthique de l’homme et de son environnement. 

 

Cette lecture  invite aussi l’élaboration d’une étude approfondie sur le parallèle entre la mise sur le marché de la junked food,  des « junked » produits financiers, et des « junked » produits pharmaceutiques créés au début des années 2000 et appartenant à quelques multinationales non-EU ayant les mêmes stratégies marketing ; même type de cabinets d’avocats amoraux, parce que pratiquement toujours rémunérés par les solides assurances des clients, ne faisant dès lors pas le poids contre la partie adverse, mêmes stratégie de la gestion de leurs websites et gommage par référencement stratégique de toute allusion aux fraudes et malversations.

 

«  L’industrie pharmaceutique est le secteur qui dépense le plus aux Etats-Unis en lobbying » [5]  [6]. Rien qu’aux Etats-Unis ? Et en Europe? Pourquoi avoir amorcé l’ouverture d’un marché d’antidépresseurs chez les enfants, les adolescents ? Pourquoi ne pas agir en prévention ? A commencer par une alimentation locale dans des sols assainis, l’apprentissage du partage et de techniques anti-stress dans les écoles ?

 

Il s’agit de coordonner la prévention du burnout directement avec  la médecine du travail et avec la médecine générale. Travailler en prévention du risque de burnout c’est utiliser le carburant enflammé et énergétique mal canalisé d’un employé ou indépendant qui le mène à l’épuisement,  ce qui se révèle impraticable lorsqu’il est déjà mis en conflit avec les effets secondaires de l’antidépresseur.

 

 

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