Serious games : finies les formations à la papa

En plein essor depuis la fin des années 2000, les serious games, jeux vidéo à visée pédagogique, sont désormais monnaie courante dans le monde de l’entreprise. Utilisé comme outil de communication ou de recrutement, il est de plus en plus prisé pour la formation des employés.

 

Aujourd'hui, tout le CAC 40 a au moins un serious games ». Michelin, Renault, Orange... Depuis le début des années 2000, Hélène Michel l'a constaté, les serious games – ou jeux sérieux – n'ont cessé de se développer et de séduire les gros pontes de l'industrie française. Enseignante à l'école de management de Grenoble, elle est l’une des spécialistes du sujet. « Contrairement aux jeux vidéo classiques, l'intention première n'est pas l'amusement. Du recrutement à la formation, ces jeux sont conçus dès le départ avec des objectifs pédagogiques» explique-t-elle. Face à des situations problématiques et typiques du monde de l'entreprise, le joueur est invité à expérimenter des situations. Et surtout à apprendre de ses erreurs.

 

L'année dernière, Paul, conseiller financier dans une banque française, s'est frotté aux serious games. « Je suis assis à un bureau, il y a une photo des enfants à côté de l’ordinateur, avec en face un client qui me pose des questions sur les types de produits que je propose tous les jours à la banque. C’est assez réaliste », se souvient-il. Comme la banque qui emploie Paul, de plus en plus d’entreprises optent pour les serious games pour former leurs employés. « Le fait de nous mettre dans des situations concrètes, où chaque décision compte, est à la fois ludique et utile. J’applique souvent ce que j’ai expérimenté à travers le jeu vidéo, souligne Paul. Et c’est beaucoup plus intéressant que d’assister à une conférence ».

 

 

Le succès de ces formations 2.0, Damian Nolan, directeur général de Daesign, l’explique par le mélange de deux concept clés selon lui : plaisir et motivation. « La motivation première vient du fait de voir qu’en progressant dans le jeu, on contribue parallèlement à la progression de sa carrière. Ensuite le plaisir vient du support, qui fait oublier l’aspect formation et permet d’expérimenter. » Selon Sébastien Beck, directeur opérationnel de KTM Advance, une entreprise spécialisée dans la formation professionnelle numérique, il faut différencier le serious games du jeu vidéo ordinaire « qui tire sa force du plaisir immédiat. » « Un bon serious game prend le réalisme de la simulation et la progressivité et le plaisir du jeu vidéo, tout en restant un objet de formation, soutient-t-il. La motivation doit rester au service de l’apprentissage. »

 

Les jeux apportent une dimension nouvelle à la formation. « Avec les serious games, on s’éloigne de l’idée d’une transmission descendante, du rapport enseignant à élève. La personne formée est immédiatement dans la pratique, » commente la sociologue des nouvelles technologies Catherine Lejealle. Pour elle, l’existence même de ce type de jeu est logique. « Nous sommes aujourd’hui dans un mouvement qui n’a plus peur des écrans. Les gens tendent de plus en plus à chercher de l’information, à collaborer et à être actif à travers le second écran ».

 

Pour Sébastien Beck, si cette immersion via le jeu est nécessaire à l’apprentissage, elle doit être liée aux formations en salle, dites « présentielles ». En revanche, pas question de s’y substituer totalement. « Sans accompagnement, la formation distancielle [le serious game] a un taux de désaffection assez élevé auprès des utilisateurs, note M. Beck. Le serious game n’est pas un graal. C’est un outil qui doit se positionner dans un cycle d’apprentissage complet. » Pour y parvenir, KTM Advance s’inspire du cycle d’apprentissage conceptualisé par le pédagogue américain David Kolb, au début des années 70 et dont Sébastien Beck résume les quatre phases : « l’acquisition de savoir, la prise de recul, la mise en pratique et enfin le terrain. »

 

L'apprentissage comportemental privilégié

 

C’est justement sur cet aspect de « mise en pratique » que le serious game intervient dans la formation. Le but est de mobiliser les concepts appris et de les appliquer. « L’avantage avec le jeu vidéo est que le joueur a le droit à l’erreur. Et la possibilité de rejouer, ce qui n’est pas toujours le cas dans le monde réel », rappelle Hélène Michel. Idéal pour tester des situations inédites. Sébastien Beck prend l’exemple des simulateurs de vols utilisés dans l’aéronautique. « Ils ne remplacent pas le réel exercice du pilotage, mais permettent de s’entraîner et de se confronter à tous types de scénarios. On imagine mal quelqu’un essayer de faire des vrilles avec un vrai avion. »

 

A force, ces simulations de techniques de ventes, de conseils au clients ou d’entretien, certes moins périlleuses que de piloter un avion, façonnent des comportements. Pour Hélène Michel,  « l’apprentissage par la simulation, permet aux “apprenants” de développer certaines compétences appréciées des entreprises comme la créativité, la prise de risque, ou encore l’aisance à l’oral. » Autant de qualités qui comptent plus aujourd’hui que l’acquisition de compétences. « Aujourd’hui, les entreprises s’intéressent davantage aux aspects comportementaux qu’au savoir, qui peut devenir très rapidement obsolète, analyse Catherine Lejealle. Elles cherchent des profils sur lesquels elles peuvent compter et qui s’adaptent au mieux à leur philosophie. » 

 

Souvent, les atouts recherchés par les grandes entreprises aboutissent à des serious games personnalisés conçus sur mesure. Le jeu « Renault Academy » a été spécialement développé pour former uniquement les vendeurs de l'entreprise automobile. En revanche, d’autres ouvrent le jeu. C’est le cas d’Orange et Natixis qui ont mis en commun leurs efforts et leur argent pour développer, avec Daesign, le serious game « M comme manager », qui sert, comme son nom l’indique, à former les managers. Deux entreprises pour un seul jeu? Pas si farfelu pour Sébastien Beck. « Sur le fond, les techniques de vente d’aspirateurs et d’assurance sont assez similaires », traduit-il, rappelant que c’est la connaissance du produit en amont qui fait la différence.

 

 

Va-t-on voir les serious games envahir le monde de la formation  ? La tentation est grande du côté des studios de réalisation de ces jeux. « Certains éditeurs venus du jeu vidéo classique ont vu avec l’émergence du serious game un moyen de stabiliser l’économie de leurs studios vidéo en collaborant avec de grandes entreprises, rappelle le directeur de l’École Nationale du Jeu et des Médias Interactifs Numériques (ENJMIN), Stéphane Natkin. Mais la difficulté de rendre un enseignement ludique, est parfois due à une mauvaise coordination entre l’éditeur et les détenteurs du savoir qu’il faut enseigner. » 

 

Pourtant, le marché du serious game se porte bien.  Selon un rapport de l’IDATE (Institut de l’Audiovisuel et des Télécommunications en Europe), son chiffre d'affaire mondial pourrait atteindre près de 10 milliards d'euros en 2015. Malgré l'annonce de ces revenus grandiloquents, il faut, selon Sébastien Beck, prendre garde à l’effet de mode. « Certains clients viennent nous voir pour demander de leur faire un serious games, sans trop savoir pourquoi, alors que cela ne s’adapte pas vraiment à leurs besoins, explique le directeur opérationnel de KTM Advance. Il faut toujours penser le serious game comme une valeur ajoutée dans l'apprentissage. » 

 
Benjamin Derveaux

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