Techno minimale, pop internationale ou encore incontournable disco, à chaque nouveau morceau, les corps se délient un peu plus. Pour autant, ceux qui ont fait ce choix n’ont rien de marginaux. Dans à peine quelques heures, ils seront cadres, étudiants ou secrétaires. Ce seront vos collègues de bureau, feront le même travail que vous et seront soumis au même stress. A la différence près qu’eux se seront levés plus tôt, afin de commencer la journée détendue et briser leur routine du « métro-boulot-dodo ».
Travolta chez Camus
Pour expliquer les motivations de la première génération de clubbeurs, Benoit Sabatier prend l’exemple du personnage de Tony Manero, interprété par John Travolta dans le film La fièvre du samedi soir. « Son job le déprime terriblement, mais heureusement, le week-end il peut se lâcher, car le samedi soir il va danser en club, et là il oublie tout, ses semaines grises et pénibles, son travail mal payé, ses difficultés à communiquer. Le samedi soir il danse, et sa vie s’illumine, prend sens. »
Le fêtard est, dès lors, l’égal d’un Sisyphe. A l’instar du personnage d’Albert Camus, qui remonte encore et toujours un rocher en haut d’une montagne, avant que ce dernier ne roule inlassablement tout en bas, le travailleur répète les mêmes mouvements éreintants. Pour autant, « il faut imaginer Sisyphe heureux », écrivait Camus pour décrire le moment où son personnage, redescendant du sommet, est délesté du poids du rocher. Il devient alors « supérieur à son destin ». De même, le raver Tony Manero a « aussi droit au bonheur dans sa vie de merde [sic.] », explique Benoit Sabatier.
Boire (du jus de fruits) pour oublier
Ces méthodes de management sont basées sur l’initiative du travailleur et sur son implication dans les projets de l’entreprise. « Les salariés sont de plus en plus souvent confrontés à des situations professionnelles paradoxales, qui d’un côté augmentent leur espace d’autonomie mais en même temps diminuent la maîtrise qu’ils ont de leur travail et de leur vie, » expliquent Dominique Méda et Patricia Vendramin, dans leur livre Réinventer le travail. En cela, les NFOT ont contribué à détériorer les conditions de travail. « Elles n’ont pas éliminé la pénibilité au travail ; elles l’ont démultipliée, » concluent les sociologues.
Ravers de tous les pays, unissez-vous !
« Le travail reste important, mais il n’est plus la seule dimension importante de la construction identitaire et de l’équilibre existentiel, » reprennent Dominique Méda et Patricia Vendramin. Selon les deux sociologues, pour se réaliser en tant qu’humain, d’autres valeurs sont importantes au salarié – et parmi elles, les loisirs et la vie sociale. « A l’hégémonie de la valeur travail succède le refus d’une disponibilité extensive pour l’entreprise, un désir de préservation de la sphère personnelle, à travers une gestion autonome et flexible du temps. »
>>> Pour plus d'informations sur le Conscious clubbing.
En cela, les quelque dizaines de personnes qui se déhanchent sous la halle parisienne sont des pionniers. Dans des conditions de travail aussi aliénantes, le psychologue du travail Eugene Enriquez explique que « le seul qui s’en tire est le ‘marginal sécant’, c'est-à-dire l’homme certes impliqué dans son travail mais qui fait partie d’autres groupes et qui est disponible à ses propres désirs, c’est sa seule manière de ‘respirer’ et de durer. » Un marginal qu’il s’agit de suivre.
« Si la résistance commence par le courage de ceux qui agissent les premiers sans compter sur le soutien des autres, le changement d’organisation du travail viendra d’une réappropriation collective, » continue Christophe Dejours, fondateur de la psychodynamique du travail. D’autant que la rapide expansion de la rave before work ne tient pas de la volonté d’une multinationale, mais d’une aspiration de citoyens médusés.
Ces activistes n’en oublient pas pour autant leur profession. A partir de 8h30, la salle se désemplit progressivement. Aux baskets succèdent les chaussures de ville. Jusque-là, les shorts à paillettes répondaient aux t-shirts « Osons le bio ». Ils laissent dorénavant place à de gros manteaux d’hiver qui se dirigent vers le stress quotidien. Mais après avoir passé une ou deux heures sur la piste, ces ravers d’une nouvelle sorte sont parés à affronter les affres de la vie en entreprise. Encore faut-il passer le premier obstacle : une pluie froide et battante
Cyril Camu
Morning Gloryville, comment ça marche :
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