La capacité à focaliser son attention sur les buts, les personnes ou les choses
qui nous sont chers se disperse face aux myriades de sollicitations qui nous assaillent
de partout. Selon Daniel Goleman
Lorsqu’il était adolescent, Daniel Goleman avait pris l’habitude de faire ses devoirs en écoutant les quatuors à cordes de Belà Bartok, « légèrement cacophoniques, mais agréables à mon oreille ».
Plus tard, journaliste au New York Times, il travaillait dans une salle de rédaction où les rédacteurs devaient écrire leur papier au milieu d’un brouhaha permanent. Peu à peu, il est parvenu à s’extraire mentalement de cet environnement bruyant pour se focaliser sur ses sujets d’articles. Comment ? En travaillant cette capacité attentionnelle, qui peut s’entraîner au fil du temps.
Le processus attentionnel est ainsi fait : nous sommes bombardés à tout instant de milliers d’informations qui nous parviennent aux oreilles, aux yeux et même au toucher (songez un instant à votre langue qui touche votre palais, cette sensation est bien là, même si on n’y pense jamais). L’attention sélective, la concentration, consiste à se focaliser sur une partie de ses informations et à mettre en mode « veille » tout le reste.
Le journaliste qui écrit son article ou le voyageur qui lit dans le métro sait mettre en sommeil provisoirement le monde extérieur pour se focaliser sur son champ de vision et sur ses idées.
Chacun sait cependant que cette capacité de concentration est limitée. Des études montrent qu’en moyenne une personne qui lit s’évade en pensée entre 20 et 40 % du temps. Ce vagabondage de l’esprit, naturel et irrépressible, devient très gênant quand il faut nous concentrer – pour apprendre une leçon, résoudre un problème difficile ou tout simplement réaliser une action qui demande de la suite dans les idées.
Or, le monde actuel ne favorise guère la concentration : « L’adolescent américain moyen reçoit et émet plus de cent SMS par jour, soit une dizaine par heure d’éveil. » Les adolescents ne sont pas les seuls concernés. Les technologies ont envahi nos vies de messages SMS, courriels, informations diverses. D. Goleman rapporte l’aveu d’une amie, travaillant dans l’édition, qui lui avoue comment le besoin de consulter son téléphone à tout bout de champ est devenu addictif : « On est en manque de ce petit coup au cœur que l’on ressent quand on a un message. On sait que ce n’est pas bien de consulter son téléphone quand on est avec quelqu’un, mais c’est addictif. »
Le trouble déficitaire de l’attention (TDA), répertorié comme un trouble cognitif, serait-il en passe à devenir un phénomène de société ?
Heureusement, nous dit D. Goleman, l’attention, ça se « muscle ». Avant de nous livrer ses recettes, il commence par distinguer les différents types d’attention : la focalisation extérieure, la focalisation intérieure et la focalisation vers autrui.
Ce que l’on appelle couramment « attention » correspond à la « focalisation extérieure ». La pensée doit se concentrer sur un objet précis : une leçon à apprendre, un tableau à observer, etc. Cela peut se faire en se focalisant sur un détail (l’arbre), sur un ensemble (la forêt), ou sur les relations entre les différents détails. Le chat qui a vu remuer les herbes devant lui fige tout à coup son attention sur ce qui pourrait bien être une proie : une musaraigne ou un mulot tapi dans l’herbe. Quelques secondes auparavant, le même chat parcourait son territoire de chasse, l’œil et l’oreille en éveil mais sans se focaliser. L’attention focalisée et l’attention flottante sont deux formes d’attention. Pour éviter de se disperser, il faut apprendre à passer d’un regard à l’autre.
La focalisation intérieure correspond à la conscience de soi. C’est ce qui nous met en phase avec nos intuitions, et nous aide à prendre des décisions.
La focalisation sur autrui, troisième type d’attention, relève de l’empathie. Elle fait partie de l’équipement mental nécessaire pour bien gérer nos relations.
Comment muscler ces différentes formes d’attention ? Après avoir pris conscience de leur variété et de leurs usages spécifiques, D. Goleman présente quelques leçons assez simples. La première consiste à se débrancher provisoirement de tout notre environnement numérique. C’est le cas de cette femme qui a décidé de mettre son téléphone portable dans le tiroir en rentrant chez elle pour éviter de le consulter à tout bout de champ.
L’auteur reprend aussi les exercices courants issus des techniques de méditation : observer ses pensées et émotions pour apprendre à les dompter. Se concentrer sur un objet, une sensation (sa respiration, le goût d’un grain de raisin sec) et lorsque l’esprit décroche, revenir à son point de départ. Ce type d’exercice est comparable à un entraînement sportif. Au début, on a du mal à maintenir l’effort mais avec le temps, la capacité s’améliore.
En s’entraînant ainsi à se concentrer tour à tour sur un objet, sur autrui, sur ses processus mentaux, en alternant l’attention aux détails et aux vues d’ensemble, on parvient ainsi à atteindre une attention globale, clé de la « réussite ».
Focus est un livre à la fois éclairant et irritant. Éclairant quand il présente les recherches en cours en psychologie sur l’attention et le contrôle de soi. Irritant quand D. Goleman quitte le terrain de la psychologie pour se muer en gourou d’une « attention élargie », celle du leader bienveillant, tel le dalaï-lama ou le P.-D.G. d’Unilever (qu’il a côtoyé au forum de Davos) et qui serait la voie miraculeuse donnant les « clés de la réussite ».