Alors que le tabou du mal-être au travail se lève petit à petit, des entreprises s'engouffrent dans la brèche pour proposer des solutions aux entreprises. Une économie juteuse.
«Dynamisez vos équipes en cuisinant.» Voici le slogan d'Eat sentive, une société qui propose des animations culinaires aux entreprises. Outre le divertissement, cette activité renforce les liens, créé de la complicité et renforce la créativité, assure son dirigeant Julien Rossello. Et depuis ces trois dernières années, la demande explose grâce aux émissions culinaires. «De plus en plus d'entreprises font appel à nous à la dernière minute », remarque-t-il.
"Afterworks", cours de sport ou de composition florale entre midi et quatorze heures… Toutes ces activités proposent aux salariés de décompresser, sur leur lieu de travail ou à l'extérieur, mais toujours ensemble. «Les 35 heures ont concentré le temps et le stress. Il faut trouver des échappatoires, des moments où on relâche la pression », poursuit Julien Rossello.
L'indice de bien-être au travail montre l'ampleur de ce problème : le mal-être a coûté en 2013 13 500 euros par salarié et par an aux entreprises, soit «une perte annuelle au niveau national de 200 milliards d’euros ", indiquent Mozart consulting et le Groupe Apici, les créateurs de cet indicateur.
Depuis une dizaine d'années, le stress, le mal-être au travail et les risques psychosociaux constituent de vives inquiétudes, observées de près par les syndicats et les médias. Une brèche s'est ouverte pour le marché du bien-être au travail. Il y a douze ans, l'institut Great Place to Work publiait son premier classement annuel des entreprises où il fait bon travailler.
En s'appuyant sur les avis des salariés, l'institut distingue les groupes qui font de «la valeur humaine leur principale ressource ». Les trois principaux critères sont la confiance des salariés envers leur encadrement, la fierté d'appartenir à l'entreprise et la convivialité qui permet de travailler dans une atmosphère chaleureuse.
Les entreprises ont l'embarras du choix pour améliorer le bien-être de leurs employés
Comme Eat Sentive, de nombreuses entreprises se sont emparées de ce business. Pour preuve, la tenue de la première édition, l'an dernier, du salon Vitaelia consacré au bien-être en entreprise. Il a rassemblé quelques 3000 visiteurs et 80 exposants. Ces derniers ne manquent pas d'imagination pour remédier à tous les maux du travailleur, qu'ils soient liés au stress, aux risques psychosociaux, aux nuisances sonores ou encore à la coordination entre vie professionnelle et privée.
Luminothérapie, création d'espaces aménagés, séminaires en centre équestre... les solutions proposées sont nombreuses. En face, les entreprises sont prêtes à mettre la main au porte-monnaie, pour leur image de marque. Une opportunité dont s'est saisi Marc Thouvenin. Il y a un an, l'entrepreneur a créé Yoomov, société spécialisée dans la vente d'équipements qui permettent de travailler en pratiquant la marche.
Même si l'entreprise a commencé son activité commerciale en octobre dernier, il affirme déjà percevoir de belles perspectives. «Les nouvelles générations sont exigeantes », juge-t-il. Un investissement onéreux – 2000 euros en moyenne le tapis de marche équipé d'un bureau réglable – dont il promet l'efficacité. "Nous sommes plus concentrés debout, en activité, qu'assis. Surtout après le déjeuner où l'on a tendance à s'assoupir. "
Si les cadres sont les principales cibles de ce marché en expansion, le mal-être au travail concerne également les ouvriers et le personnel agricole. «Ce sont des solutions plus difficiles à mettre en place dans le secteur du bâtiment, par exemple », explique Caroline Larbaudie-Gorroz, fondatrice du salon Vitaelia. Dans son premier rapport publié en décembre dernier, l'Observatoire national du suicide indique que les suicides prédominent chez les personnels agricoles et ouvriers. Pour eux, les solutions restent à inventer.
Mais attention à ne pas verser dans l'angélisme. Pour le président de l'Association française de communication interne (AFCI), Guillaume Aper, ces " gadgets " ne modifient pas le quotidien des individus. «Avant de payer pour des cours de cuisine, il faut préserver les rituels et traditions de l'entreprise. Les pots de départ, par exemple, sont aussi des moments de proximité, où l'on peut voir son patron autrement, s'il est ému. » Nul besoin, selon lui, de dépenser des mille et des cents.
Pour Guillaume Aper, l'industrie du bien-être ne doit pas masquer le réel mal-être des employés. "On ne prend pas le temps de parler de son travail. Les salariés et les dirigeants devraient davantage échanger sur les difficultés rencontrées pour que ne s'installe pas la souffrance ", estime-t-il.
Selon Caroline Larbaudie-Gorroz, « les gens subissent leur travail. Du fait du chômage, ils ne donnent pas leur démission. S'ils disent aller mal, ils ont peur d'être remplacés. L'absentéisme est donc l'une des répercussions d'un sujet dont le tabou se lève peu à peu.»
Un service d'Orange teste le management "agile" Cela fait quelques mois que les talents artistiques des salariés rythment les réunions mensuelles d’une entité. "Sur la base du volontariat, certains collègues se sont manifestés pour chanter, jouer du piano. Nous avons aussi eu une expo photo ", indique-t-elle. D’autres initiatives centrées sur les conditions de travail et sur les modes de management ont également été lancées. "Des vidéos ont été mises en ligne dans lesquelles le médecin du travail montre les bons gestes à adopter pour se maintenir en forme et lutter contre les troubles musculo-squelettiques en plus de l’étude d’aménagement des postes de travail", poursuit Elisabeth Belois-Fonteix. Enfin, le de management en "mode agile" a été mis en place. "Tous les deux jours, nos salariés se réunissent avec leur manager pour identifier les points bloquants et trouver des solutions ensemble", raconte la directrice des ressources humaines de la division innovation. Ainsi, un pilote "aide les équipes à lever les obstacles liés à leur activité". Selon le dernier baromètre social d'Orange, publié en juillet dernier, 92% des salariés considèrent que la qualité de vie au travail chez Orange est identique ou meilleure que dans les autres entreprises. Malgré tous ces efforts, il y a eu au premier trimestre 2014, autant de suicides, dix au total, que sur l'année 2013. Des tragédies qui, selon les syndicats CFE-CGC, ont une relation explicite au travail. |