Un robot d’apparence humaine en guise de vendeur, de collègue de bureau ou de membre d’un conseil d’administration. Ces scénarios n’apparaissent plus surréalistes. Le weekend dernier, l’enseigne Darty a testé – dans l’un de ses magasins parisiens – le robot Nao, fabriqué par la société française Alderbaran Robotics. Haut de 58 cm, muni de bras, de jambes et d’une voix, Nao expliquait le fonctionnement de luminaires et réalisait diverses démonstrations de produits comme tout vendeur fait de chair et d’os (voir vidéo ci-dessous). En novembre dernier, ce sont 1 000 robots qui ont été embauchés par le géant mondial de l’agroalimentaire Nestlé pour vendre des machines à café et des capsules au Japon. Baptisés Pepper et conçus par Aldebaran Robotics, ces robots montés sur roulettes, avec une tablette tactile au niveau du ventre, ont pour particularité d’apprendre et de reproduire des émotions humaines. « Les humanoïdes, ce n’est pas pour tout de suite. Nous en sommes pour l’instant au stade des robots avec une fonction collaborative, tempère Catherine Simon, PDG de l’entreprise Innoecho. C’est Internet avec une action physique sur le monde réel ». Pourtant, récemment à Hong-Kong, c’est bien un robot qui a été nommé sixième membre du conseil d’administration d’une société d’investissement Deep Knowledge Venture. Celui-ci analyse les données pour évaluer la viabilité d’un projet et a même un droit de vote.
Un emploi sur trois remplacé par une machine intelligente
Selon la Fédération internationale de la robotique (IFR), il y a aurait un peu plus de 12 millions de robots dans le monde aujourd’hui. Le nombre de machines intelligentes qui investissent l’entreprise comme notre vie quotidienne ne cesse de croître. Mais ce phénomène ne constitue pas une véritable révolution robotique à en croire Raja Chatila, chercheur au CNRS et directeur de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir) : « Il y a une montée en puissance des innovations et une plus grande utilisation de la robotique, ces dernières années, mais le terme ‘robolution’ constitue plus un slogan qu’une révolution », estime-t-il. Quel impact ce phénomène aura-t-il sur notre travail ? Selon deux études menées par les cabinets de conseil Berger et Gartner, trois millions d’emplois seraient menacés en France par les robots d’ici 2025 et un emploi sur trois sera remplacé par un robot ou une machine intelligente dans le monde, d’ici à 10 ans. «Le robot va libérer l’Homme des tâches répétitives, pénibles, dangereuses et dans les milieux hostiles. Il va nous permettre d’augmenter nos capacités et un plus grand développement personnel », explique Catherine Simon. Tout ceci devant mener à une plus grande créativité et plus de liens sociaux pour, en somme, retrouver plus d’humanité. « Le métier de caissière va probablement disparaître. Mais ces caissières apporteront un autre service, elles auront une plus grande interaction avec les clients. Pareil pour le médecin, qui déléguera les tâches mécaniques, comme prendre le pouls, à un robot pour être plus à l’écoute et parler à un patient », affirme la PDG d’Innoecho.
« La transformation ne se fera pas sans heurts »
La robotisation détruira-t-elle plus d’emplois qu’elle n’en créera ? Impossible pour l’heure de répondre avec certitude à la question. « La robotique manufacturière et l’automatisation sont associées à la perte d’emplois, indique Raja Chatila, directeur de recherche au CNRS. Mais elles sont aussi créatrices d’emplois car on aura besoin d’humains, ne serait-ce que pour la maintenance et la fabrication ». L’IFR a montré, à travers plusieurs rapports, que les pays les plus robotisés comme le Japon, la Chine ou l’Allemagne sont aussi ceux qui ont le mieux préservé les emplois dans leur industrie. Chaque robot installé dans une usine créerait deux ou trois emplois supplémentaires, selon le même organisme qui table sur plus de 3,5 millions de postes créés d’ici 2025.
Le processus industriel dans lequel robots à taille humaine et hommes partagent le travail ne se fera pas sans une redéfinition du service et du rôle de l’humain. « Il faut changer notre façon de penser le travail. La transformation ne se fera pas sans heurts. C’est le même procédé qu’avec la révolution numérique qui a modifié des millions de postes et amélioré notre qualité de vie », ajoute pour sa part Catherine Simone. « Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de ce processus inéluctable mais il est important de l’anticiper, d’informer et de former les gens pour que ça se passe de façon plus agréable », poursuit-elle.
Des métiers disparaîtront et de nouvelles professions verront le jour. Paradoxalement, la robotisation pourrait aussi être un moyen de freiner la délocalisation des entreprises. « Pour une question de rentabilité et de productivité, on fera revenir de la production grâce à la présence de robots et au partage des compétences entre l’Homme et la machine », analyse Raja Chatila du CNRS. Un constat que partage Jean-Paul Bugaud, ingénieur conseil en robotique : « Grâce à la robotisation, beaucoup d’entreprises relocalisent déjà pour des questions de coûts mais elles ne communiquent pas car cela reviendrait à faire un aveu d’échec public sur une manière de travailler », dit-il.
Rattraper le retard
Estimé à 17 milliards d’euros, le marché de la robotique pourrait atteindre les deux cents milliards en 2023, selon l’IFR. La France – consciente de son retard dans le domaine – s’est doté d’un plan national avec un fond d’investissement mi-public, mi-privé, à hauteur de 80 millions d’euros qui favorise l’innovation et la création d’emplois à travers des start-up et des PME innovantes. Depuis un an, le plan Robot Start PME a aussi été lancé pour aider les entreprises à s’équiper de leur premier robot. « En France, nous avons un gros retard en matière de robotique et les PME sont largement sous-équipées », constate Jean-Paul Bugaud qui a travaillé pour le Symop, syndicat en charge du programme Robot Start PME. Dans l’Hexagone, « il y a 122 robots pour 10 000 salariés alors que c’est 160 en Italie et 260 en Allemagne. 3000 robots sont fabriqués en France chaque année, contre 5 000 en Italie et 20 000 en Allemagne », complète-t-il. L’objectif de la France serait de se hisser au niveau des cinq leaders mondiaux de ce marché que sont le Japon, la Corée du Sud, les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne, d’ici 2018. « Il faudra plus d’industries de la robotique sinon nous allons nous retrouver hors-jeu », prévient Raja Chatila.
D'où nous vient cette peur des robots ? Entretien avec Brigitte Munier, enseignante-chercheuse à l'école ParisTech et auteure du livre Robots: mythe du golem et la peur des machines.
Les robots ont tendance à susciter de la crainte chez les Occidentaux alors que les Asiatiques sont plus enthousiastes. Comment expliquer cette différence ? B.M. : Elle est avant tout culturelle. En Europe, nous nous nourrissons de récits archaïques et du mythe du golem. L’Homme conçoit une créature intelligente à son image qui finit par le dépasser. Ce récit a notamment été remis à l’honneur par Mary Shelley et son Frankestein, en 1818. Aujourd’hui, on mélange la vieille histoire et les robots comme dans Blade Runner de Ridley Scott ou Her de Spike Jonze. Le mot « robot », inventé par l’auteur tchèque Karel Capek, vient du terme slave « robota » qui signifie souffrance. Nous sommes également persuadé qu’il y a une exception humaine. Alors que les Japonais, par exemple, sont animistes c’est-à-dire que pour eux tout être a une âme. Ainsi, humains, animaux et robots sont au même niveau.
De plus en plus de robots investissents les usines, mais pensez-vous qu'ils remplaceront totalement l'Homme au travail ? B.M. : Nous aurons toujours besoin des hommes pour concevoir les logiciels et contrôler les robots. Ils sont très utiles à l’usine. Nous avons tendance à imaginer que la machine deviendra consciente alors que nous ne sommes pas encore capable d’expliquer ce qu’est la conscience. Il n’y a pas, par exemple, de robot-berger car il faut une interaction humaine entre l’Homme et l’animal. Les caractéristiques comme l'émotivité, la sensibilité ou l'imagination sont symboliques de l'Homme et inimitables par les machines. L’humain a peur de s’effacer dans ses propres créations. On se laisse fasciner par chaque progrès technique provoquant à la fois de la peur et de l’admiration.
Vous ne pensez donc pas que nous nous dirigeons, à terme, vers une « société de loisirs » ? B.M. : Non, c'est une utopie, une dystopie. Dans Rossum's Universal Robots (R.U.R), l'oeuvre de Karel Capek, les robots sont produit en série pour servir l'Homme. Ils prennent la place des ouvriers dans les usines et les hommes se servent également des machines pour se faire la guerre. Ces golems finissent par se rebeller et anéantir la civilisation qui s'est tournée uniquement vers les loisirs. A la fin de l'oeuvre, les robots deviennent sensibles ce qui constitue un retour à l'humanité. C'est une belle vieille histoire ! Mais il ne faut pas oublier que le robot est voué à exécuter toutes les tâches pour lesquelles on l'aura programmé.
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