Avec l'e-cooptation, le chasseur de têtes, c'est vous

 

Solution pour les recruteurs en panne de candidats, la cooptation se met à  l'ère du numérique. Sur MyJobCompagny et Keycoopt, leaders du secteur, les coopteurs affluent grâce à un argument financier convaincant : cooptez et si la personne est recrutée, empochez. 

 

Conseiller un ami, un ex-collaborateur ou une connaissance à un employeur en quête de nouvelles recrues. Jusque là, rien de nouveau. La cooptation, ou comment faire appel au réseau d'autrui pour trouver des candidats, est une des plus anciennes techniques de recrutement. Mais si, aujourd'hui, coopter un membre de réseau pouvait vous rapporter de l'argent  ? C'est la technique employée par Myjobcompagny et Keycoopt, deux sites français d'e-cooptation nés en 2011. 

 

« On avait le moteur, c'est-à-dire la recommandation, il nous fallait mettre l'essence : l'argent » Grégory Herbé, créateur de MyJobCompagny 

 

Les créateurs de ces startups sont tous deux d'anciens chasseurs de tête. Pour créer leurs sites, Grégory Herbé, PDG de MyJobcompagny et Antoine Perruchot, fondateur de Keycoopt sont partis d'une même problématique : pour un cabinet de recrutement, la cooptation est un moyen rapide et efficace de trouver de bons candidats. Mais comment faire de ce système informel une industrie ?

 

En misant sur un système de prime versée au coopteur. « J'ai chassé mon futur associé comme ça, témoigne Grégory Herbé. J'étais directeur de MacAllister, un cabinet de recrutement. Je lui ai proposé un poste que je devais pourvoir. » Celui qui n'est pas encore son associé refuse, mais lui signale qu'il a dans son réseau des personnes qui correspondent au profil du poste.

 

« Il m'a demandé ce qu'il gagnerait à me trouver ces personnes. C'est à ce moment-là qu'on a eu l'idée de monter MyJobCompagny, poursuit Grégory Herbé. On avait le moteur, c'est-à-dire la recommandation, il nous fallait mettre l'essence : l'argent ». 

 

La cooptation : une antiquité 

 

« Il ne faut pas oublier que l’e-cooptation n’est que de la cooptation déplacée sur le net », souligne Laurent Brouat, enseignant sur le recrutement innovant et cofondateur de Linkhumans, société spécialisée dans l’embauche mobile et sociale. Une méthode vieille comme le monde puisqu'elle remonte à l’Antiquité. Du latin cooptatio, elle désigne, dans une assemblée, la nomination d’un membre nouveau par ceux qui en font déjà partie.

 

Dans la Rome Antique, le système religieux en était totalement imprégné. Jusque sous le règne du premier empereur de Rome, Octave Auguste (-27 avant Jésus Christ - 14 après Jésus Christ), les prêtres membres de collèges et de sodalités étaient désignés par cooptation. Lorsqu’en -27, Octave créa un nouveau régime – l’Empire -, la cooptation a disparu : l’empereur détenait désormais la toute-puissance et contrôlait toutes les sphères de la cité. 

 

Depuis, la cooptation a fait du chemin et a séduit de nombreuses entreprises, qui s’en servent comme d’un moyen efficace pour embaucher en interne. Comme l’analyse Flore Ozanne dans Etre recruté et recruter (2010), la cooptation permet aux départements Ressources Humaines d’éviter les erreurs de casting : « En mettant en relation des candidats potentiels avec les recruteurs internes, les salariés mettent en jeu leur crédibilité. Pour ne pas se discréditer, ils sont donc vigilants à proposer des professionnels sérieux et fiables partageant les valeurs de l’entreprise» La cooptation contribue à lier le salarié à son entreprise. En cooptant, le salarié sent que sa décision compte et se sent ainsi valorisé. 

 

« J'ai reçu 500 euros de prime, comme ça, tombée du ciel »

 

Simon Rouaud, jeune conducteur de travaux dans l’entreprise de BTP Goyer, en a fait l’expérience, il y a un an : « Je venais de rentrer dans l’entreprise, un mois avant. Mon directeur de travaux m’a signalisé qu’il cherchait à embaucher de jeunes ingénieurs. Je me suis rappelé qu’un copain de ma promotion, Lukas, cherchait du boulot. » De là, Simon Rouaud transmet son CV au directeur de l’entreprise. Lukas passe un entretien et finit par être recruté, une semaine et demie plus tard. « Pour l’avoir coopté j’ai reçu 500 euros de prime, comme ça, tombée du ciel. »

 

Avec ce recrutement par cooptation, l’entreprise a gagné du temps, mais aussi de l’argent. « Ils n’ont pas eu besoin de faire de communication, ni de passer par des prestataires extérieurs, ils étaient gagnants. D’autant plus qu’avec la cooptation, la qualité des profils est généralement très bonne. Ma réputation était en jeu, je n’allais pas coopter un mauvais candidat, sinon, je passais pour con! ». 

 

A chaque recrutement sa prime 

 

Les sites d'e-cooptation ont repris ce système de prime à leur compte. Mille ou cinq cents euros en fonction du type de contrat obtenu par la personne cooptée pour Myjobcompagny, 750 euros pour Keycoopt : les primes proposées par ces sites attirent les internautes. «Nous avons commencé avec 600 coopteurs. Quatre ans plus tard, nous en avons 15 000  », affirme Antoine Peruchot.

 

Chaque semaine, les coopteurs reçoivent une newsletter avec les nouvelles offres d'emploi, auxquelles ils peuvent recommander un membre de leur réseau. Les meilleurs profils sont sélectionnés par les sites pour passer un entretien téléphonique. Si le profil du candidat correspond au profil recherché par l'entreprise, il lui est ensuite présenté.

 

« Généralement, nous présentons entre deux et quatre candidats à nos clients », explique Annaïk Meriadec, responsable marketing de Keycoopt. Au bout de la chaîne : une prime, versée au coopteur si le candidat fini par être embauché.

 

Difficile pourtant de toucher la fameuse prime miroitée par ces sites. « Je suis sur le site depuis un an et demi. J'ai recommandé une dizaine de candidats, mais aucun n'a été au bout du processus de recrutement, je n'ai donc jamais touché de prime, regrette Amandine Maquet, cooptrice chez Keycoopt. Mais coopter me prend peu de temps, le site ne nous sur-sollicite pas, donc pour moi, l'e-cooptation reste un plus que je continue à vouloir exploiter. » 

 

Economies de temps et d'argent  : des entreprises séduites  

 

Côté entreprises, elles sont de plus en plus nombreuses à voir l'e-cooptation comme une solution alternative au recrutement traditionnel. En 2011, Myjobcompagny a commencé avec un réseau d'une cinquantaine de clients. Aujourd'hui, le site est présent en France, au Chili, en Uruguay, au Paraguay et en Colombie et se targue d'un solide fichier contact de 600 clients entreprises. 

 

 

Pour les sociétés qui cherchent à recruter, les avantages de l'e-cooptation sont multiples. Le prix d'abord. « En moyenne, un recrutement externe coûte 8 000 euros à l'entreprise, et il lui faut compter six semaines de délai. Chez nous, cela prend quinze jours et revient à 1490 euros », soutient Gregory Herbé, PDG de MyJobCompagny. Sur Keycoopt, l’hébergement de l’offre d’emploi coûte à l’entreprise 450 euros et 10% du salaire du futur recruté.

 

« L'e-cooptation permet aux sociétés d'élargir leur réseau de recrutement, d'accéder à des profils qu’elles n'auraient pas pu avoir autrement. En passant par le web, elles font des économies car les informations s'y engrangent plus facilement qu'à la main. C'est viral », analyse Jacques Digout, professeur à la Toulouse Business School et auteur de L'e-recrutement à l’ère du Web 2.0. et des réseaux sociaux. 

 

Quid du service client ? 

 

Les chasseurs de têtes devraient-ils avoir peur de l'essor de l'e-cooptation ? « Absolument pas. Les bons chasseurs de têtes proposent des services à leurs clients. Ils ont une connaissance du secteur tellement fine qu'il n'y pas de concurrence entre ces deux modes de recrutement », explique Laurent Brouat. 

 

Dans l'e-cooptation, l'intégralité du processus de recrutement se fait sur le web ou par contact téléphonique. Pour réduire l'écart qualitatif de prestation entre un cabinet de recrutement classique et MyJobCompagny, Grégory Herbé a décidé d'innover en créant TalentFair.fr. Le cabinet de recrutement en ligne, basé sur une cooptation orchestrée par une centaine de chasseurs de têtes indépendants, propose à ses clients un accompagnement physique. « Nous avons voulu prendre les avantages du cabinet de recrutement (le service) et y enlever les inconvénients (le prix). »

 

Le jeu, ciment de la communauté 

 

Pour autant, l'appât du gain n'est pas la seule raison qui explique le succès de ces sites auprès des coopteurs. Pour rendre attractive l'e-cooptation, les créateurs ont injecté une dose de gamification à leur processus de recrutement. Chez MyJobCompagny, des badges récompensent les coopteurs qui ont le plus partagé une recherche de poste sur les réseaux sociaux. Quant à Keycoopt, elle organise actuellement un concours de parrainage. L'objectif?

 

Augmenter le nombre de coopteurs, comme l'explique Antoine Perruchot : « Nous gagnons énormément de clients, nous avons donc beaucoup d'annonces qui tombent. Nous avons eu besoin d'élargir notre cercle. » A l'issue du concours, dix offres et cadeaux seront répartis entre les dix coopteurs qui auront le plus parrainé et amené vers le site de nouveaux coopteurs. 

 

« La gamification joue un grand rôle dans l'e-cooptation, souligne Laurent Brouat. Elle fidélise les coopteurs. Ils sont challengés, ce qui créé une certaine émulation. Cela renforce le côté communautaire de ces sites, dont l'objectif est aussi et surtout de se créer un réseau fiable. Le jeu est le ciment de cette communauté. »

 

Tout comme l'e-cooptation n'est que de la cooptation déplacée dans l'environnement du web social, la gamification était présente dans nombre d'entreprises comme moyen de motiver ses troupes. De la vie réelle au monde virtuel, il n'y a qu'un pas. Mais en matière de cooptation, celui-ci est amplifié et poursuit son ascension, à la recherche d'innovations.

 
Morgane Le Cam
 

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