«Avec le Lean, les choses ne se passent jamais comme prévu»

Entretien avec Dominique Gillier, secrétaire général de la fédération générale des mines et de la métallurgie de la CFDT

 

Les méthodes d’organisation du travail, tels que le Lean, sont-elles transposables d’une entreprise à une autre ?

En soi, le concept du Lean contient de bonnes idées, mais, dans son application, on voit bien que les conséquences et effets pour les salariés ne sont pas toujours bien mesurés… Dans la réalité, les choses ne se passent jamais comme prévu. Il est compliqué d’appliquer un modèle ou une méthode sans tenir compte de la montée en puissance d’exigences sous-tendues par des contraintes économiques fortes. Un décalage finit donc par se produire entre le modèle et la réalité, qui dépasse vite celui-ci. Par exemple, aux chantiers navals de Saint-Nazaire, les salariés étaient enchantés au début. Mais tout a dérivé et ils ont vite déchanté. Nous avons eu assez rapidement des remontées très négatives.

 

À quoi renvoie cette réalité que vous évoquez ?

Il ne faut pas oublier que le Lean a été pensé pour permettre aux managers de proximité de disposer d’outils et de méthodes permettant d’augmenter la productivité. Le Lean est de ce point de vue un produit de la financiarisation et des exigences de rentabilité qui l’accompagnent. On ne regarde jamais les conséquences à moyen ou long terme, la vision « court-termiste » de gains de productivité domine toujours. Même si le Lean peut comporter des aspects positifs dans son outillage, la réalité du travail, c’est avant tout le savoir-faire des opérateurs pour faire face à la tâche. Si nous remontons aux origines du Lean, nous avons fait un « copier-coller » d’un système de culture japonaise. Cela était révolutionnaire au Japon. Ça l’a été beaucoup moins en Europe.

 

Considérez-vous que l’implication des salariés n’est pas réelle ? Le Lean ne permet-il pas justement d’instaurer un dialogue avec les managers de proximité ?

Sur le papier sûrement, mais, encore une fois, la réalité est toute autre. Les managers ne sont pas disponibles car préoccupés et très occupés par la gestion d’indicateurs et un reporting incessants. Nous ne leur jetons en aucun cas la pierre car ils sont pris entre deux feux et cela les éloigne du travail réel. Nous considérons au contraire que le dialogue social est exclu par l’application qui est faite du Lean le plus souvent, alors que celui-ci portait en lui l’opportunité de permettre aux salariés de s’impliquer dans la mise en œuvre de l’organisation du travail.

 

Que proposeriez-vous ?

D’instaurer des groupes et des espaces de dialogue permettant de trouver des intérêts communs avec les employeurs. Le Lean a été dévoyé au point qu’il va à l’encontre de ses principes. Par exemple, quand sur une chaîne de montage, on décide de supprimer un déplacement, cela supprime aussi un temps possible de respiration nécessaire pour la récupération du salarié. Et cette suppression provoque du stress. Il faut pouvoir discuter et « débriefer » des décisions prises. Or ce n’est pas le cas.

 

Dans quel cadre serait-il opportun de débattre du Lean ?

À notre niveau, nous le faisons au sein du comité technique national de la métallurgie où nous avons instauré un groupe de travail spécifique sur le Lean. À un plus large niveau, des négociations de branche seraient les plus pertinentes. Car les implications du Lean ne sont pas les mêmes d’un secteur à un autre. Il faut renégocier les modalités participatives des salariés pour retrouver ces ajustements qui ne se font plus par rapport à la réalité du travail. Plus largement encore, cela ramène aux discussions autour du travail et son organisation dans les entreprises dont se saisissent déjà les instances représentatives…

 

 

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