Le lean office transpose les préceptes du lean, initialement applicables aux processus industriels, dans les activités administratives et tertiaires. Ces dernières sont alors regardées comme des « usines à information » qui ne produisent certes pas de pièces, mais des décisions, des analyses, des saisies ou des compilations de données.
Jusqu’à ces dernières années, un tel regard sur le travail dans les bureaux pouvait sembler incongru. Les activités tertiaires reposaient en effet, dans l’esprit du plus grand nombre, sur des compétences et des capacités d’organisation individuelles. Au rang de ces dimensions individuelles on comptait l’organisation, la gestion du temps, la rigueur dans le traitement et le classement des dossiers, la compétence, l’expérience, la rapidité de traitement de l’information etc. L’organisation du travail n’était finalement que très rarement interrogée.
Si l’on s’affranchit de cette vision « métier » du travail réalisé dans les bureaux, il est possible de le décrire comme un ensemble de flux - flux d’informations et flux physiques - qui reçoivent de la « valeur » à diverses étapes. Avec un tel regard, les principes du lean trouveraient leur légitimité : éviter la surproduction d’informations inutiles, limiter les transports de dossiers, supprimer les vérifications non justifiées, adapter la qualification de la main d’œuvre à la complexité des tâches demandées et, surtout, cadencer les flux afin que toutes les étapes d’un processus travaillent au même rythme.
Dans cette banque, par exemple, les salariés du service concerné traitaient indifféremment tous les types d’ordres de virement qui leur parvenaient. Le déploiement du lean office a conduit à créer une fonction de « tri » de ces ordres, qui sont désormais séparés en deux « flux » : le flux des ordres simples et celui des ordres complexes. Les ordres simples sont traités par des salariés peu qualifiés (et souvent intérimaires) dont l’activité est soit la saisie dans le système d’information, soit le classement. Ils se voient fixer des objectifs de rythme de travail, avec un « temps standard » défini pour chacune de leurs tâches. Les ordres complexes sont quant à eux traités par une équipe de salariés plus expérimentés.Que pouvons-nous dire de cette nouvelle organisation du travail ?
- Côté « ordres simples » : le travail est morcelé, personne ne traitant plus la totalité d’un dossier, et il est répétitif. Les normes de productivité imposent un rythme de plus en plus soutenu. Si tout le monde ne travaille pas à la même cadence, des difficultés apparaissent (prise d’avance ou de retard entre deux postes). La question se pose des parcours professionnels : comment développer ses compétences lorsqu’on ne fait qu’une partie d’un processus simple ?
- Côté « ordres complexes » : des salarié-e-s passent 100% de leur temps sur des tâches complexes, ce qui augmente leur besoin de concentration et donc leur fatigue. Ils/elles ont perdu la faculté d’adapter leur activité en fonction du moment de la journée (par exemple, s’occuper de cas simples pendant la digestion).
- Des deux côtés, cette organisation a introduit des questions de polyvalence qui n’existaient pas auparavant, notamment pour le remplacement des absents. Il revient au management de proximité de les résoudre.
Cet exemple illustre un travers du lean office que nous rencontrons dans nombre de nos missions : il réduit le travail à une somme de tâches, à la manière d’un algorithme informatique, sans prendre en compte les dimensions le plus importantes de l’activité : les coopérations entre professionnels, les astuces que l’on trouve pour faire face à la complexité, les différentes stratégies opératoires… en un mot : le métier. Dans notre exemple comme dans de nombreux cas, le lean a conduit à un travail à la fois intenable et morcelé.
L'auteur
Bertrand JACQUIER, est expert agréé auprès des CHSCT au sein du cabinet ISAST, auteur de Du lean au management maigre Ed. Collectif Travail Réel (2013).