En sociologie du travail, les pauses ont longtemps été le parent pauvre des études menées par les chercheurs de ce champ. Toutefois, des articles parus dans les années 2000 (Hatzfeld, Boutet), ont permis de jeter un regard nouveau sur ces moments particuliers dans le travail, hors cadre de l’activité productive, en mettant le curseur sur les temporalités travail/hors travail et sur les résistances au travail. Alors que les pauses sont définies comme le temps où le salarié n’est pas la disposition de son employeur, temps pendant lequel il peut vaquer à des occupations personnelles, et se situerait donc en dehors du travail, la réalité du temps de pause est elle aussi externe à l’activité professionnelle usuelle et quotidienne que sa définition le voudrait ?
Nous tenterons de répondre à cette question en cherchant, par le biais de l’observation, quels sont les usages, au sens d’habitude, pratique établie, propre à un groupe, des pauses au sein d’un service de l’Aide Sociale à l’Enfance. Nous chercherons à savoir ce qui se passe pendant ce temps hors travail dans cette structure où la salle de pause se situe au sein des locaux professionnels.
Le service où j’exerce accueille sur du moyen et long terme 40 mineurs isolés étrangers placés à l’Aide Sociale à l’Enfance de Seine-Saint-Denis. Il est situé dans une zone industrielle, loin des commerces et restaurants (environ 10-15min à pieds). Dans l’équipe, les personnes ne sont pas véhiculées car la structure est dite « éclatée », et les véhicules de service doivent être transportés matin et soir entre Pantin et Bobigny par l’équipe selon un planning établi au trimestre.
Nous verrons dans un premier temps les conditions de réalisation et le contexte des observations, puis, après avoir évoqué rapidement la posture de l’observateur par rapport au terrain, nous mettrons en avant les quatre grandes thématiques apparues lors de l’analyse des données.
Conditions de réalisation :
J’ai choisi d’observer la pause déjeuner du mardi midi, qui est celle où le plus de personnes sont présentes, et la tenue de la réunion d’équipe hebdomadaire chaque mardi après-midi de 14h à 17h, fait que l’équipe tente généralement de ne pas sacrifier cette heure de pause pour pouvoir assister plus sereinement à la réunion, contrairement au mercredi, où certains rendez- vous sont calés sur cette heure, car il est possible, en cas de nécessité de service, de prendre sa pause avant, ou après le créneau 13h-14h.
J’ai réalisé trois observations, chacune des mardis du mois de décembre. J’ai choisi de prendre des notes pendant la pause, pendant ma pause que je ne pouvais pas décaler, sur un petit carnet dédié, afin de noter le plus de choses possible, quitte à être démasquée par mes collègues. J’ai fait ce choix à la fois pour pouvoir me restaurer dans le temps imparti par la direction, et assister aux plus grandes interactions possibles compte-tenu de l’aménagement de la pièce dédiée à cet usage. Je n’ai pris de notes que sur la page droite du carnet, afin de pouvoir noter, ensuite, après-coup, les remarques supplémentaires et compléments qui pouvaient éclairer les notes prises en page de droite.
Contexte
J’ai réalisé les trois observations, sur le même lieu, le même jour de la semaine, le mardi, dans le service au sein duquel je travaille. L’équipe dite de jour, qui travaille dans les bureaux, est composée de 12 travailleurs sociaux (Moniteur Educateur, Educateur, Assistant de Service Social, Conseillère en Economie Sociale Familiale, entre 22 ans et 37 ans, d’origines culturelles différentes car le service travaille avec des mineurs primo-arrivants étrangers et cette spécificité requiert des compétences linguistiques et culturelles) , un Technicien des Moyens Généraux, une assistante, et quatre cadres : une psychologue, une coordinatrice pédagogique , une chef de service, et une directrice. Je travaille en tant que CESF dans ce service, et ce, depuis quatre ans.
Il existe une seule pause formelle dans l’institution, celle de la pause-déjeuner, en semaine du lundi au vendredi. Les travailleurs sociaux travaillent sur une amplitude horaire de 8h à 22h, soit de 8h à 16h, soit de 9h30 à 17h30, soit de 14h à 22h. Les autres personnes travaillent de 9h30 à 17h30. Les personnes qui sont donc amenées prendre leur pause-déjeuner dans la structure sont celles qui ne travaillent pas dans la tranche dite d’AM (14h – 22h).
La pause a été instituée par la direction via une note de service et doit se prendre entre 13h et 14h, sauf urgence ou astreinte. Les débordements sur l’heure de pause sont systématiquement repris par la direction. La pause la plus longue et la facile à prendre se fait donc sur place.
Un local est la disposition des salariés, une pièce d’environ 15 à 18m2, assez exiguë. Cette pièce est la première du service, elle se trouve entre l’entrée et les bureaux. Elle fait environ 3m de large sur 5-6 m de long. Elle ne comporte qu’une seule fenêtre, de ce fait, la pièce est assez sombre. Elle est équipée de deux plans de travail, d’un placard bas, d’une cuisinière électrique, d’un réfrigérateur congélateur et de deux micro-ondes. Les poêles, casseroles, assiettes, verres et couverts sont mis à disposition des salariés. Il y a deux tables, une table haute ronde façon bar qui peut accueillir 2 personnes avec des tabourets hauts et une autre table composée de deux niveaux, un haut, qui peut accueillir 2 personnes et un bas, qui peut accueillir deux personnes aussi, soit, normalement, 6 personnes. Toutefois, la pièce comporte 9 chaises et tabourets en tout. La pièce comporte également un tableau d’affichage pour les informations syndicales, Délégués du Personnel, Comité d’Entreprise et CHSCT.
(Cf. photos)
Le nombre de personnes en salle de pause est très variable selon les jours de la semaine, car une partie de l’équipe, (4 personnes par semaine) travaille le week-end et est de ce fait absente les jeudis, vendredis et lundis.
Les conditions matérielles de la pause et de la salle dédiée à cet usage ont différentes conséquences : toute l’équipe ne peut être présente, au même moment en salle de pause, que ce soit pour cuisiner ou consommer son déjeuner. Certaines personnes mettent donc en place des stratégies pour éviter l’affluence ou s’assurer d’avoir une place : commencer à se préparer à manger avant l’heure officielle (K, commence à cuisiner dès 12h35), réserver sa place (AL a réservé sa place dès son arrivée le matin, en posant les denrées non périssables sur la table principale), manger rapidement, manger dans son bureau (malgré l’interdiction faite par la direction à ce sujet), manger ailleurs comme le font les collègues cadres (A 13h, la pièce se remplit peu à peu, 13h10 pièce pleine, plus de place assise. Par manque de place, TMG mange son bureau ainsi que M. 9 personnes dans la pièce, seulement femmes ; 2 autres personnes arrivent, plus de place assisse, attendent debout et commencent à manger. M laisse sa place 5 min après, jeu de chaises musicales. 1 collègue va manger debout.)
Tout sortir du réfrigérateur avant que les personnes prennent place, anticiper sa préparation.
(Les mouvements sont limités au maximum une fois les personnes assises.)
L’exiguïté et la difficulté des déplacements à l’intérieur de la pièce qui en découle peut-être source d’agacement. (N est sollicitée à deux reprises pour bouger et permettre accès au réfrigérateur puis table du fond : elle râle sur exiguïté de la pièce) On peut mettre cela en parallèle avec les bureaux de travail, qui sont en nombre insuffisant, ce qui fait souvent l’objet de remarques de la part des travailleurs sociaux qui n’ont pas tous accès à un poste de travail.
Relation enquêteur / enquêtés, posture de l’observateur
La première fois qu’une collègue a remarqué que je prenais des notes, j’ai pris le parti d’expliquer rapidement pourquoi et dans quel cadre je réalise ce travail. Deux collègues m’interpelleront ensuite en me demandant «si j’ai bien noté ça.» lors de la première observation.
Ces interpellations se reproduiront lors des deux observations suivantes : « tu as noté ?? » « Il faut que tu notes ça » « tu fais analyser ça par des psys après ?? Ils vont penser que nous sommes fous à lier...»
J’ai eu des difficultés à prendre en notes la totalité des échanges, nombreux, et le fait que les va et viens dans la cuisine soit quasi constant ne m’ont pas permis non plus de tout noter. J’ai également eu des difficultés à observer de manière neutre ce que je pouvais voir ou entendre. En effet, cela fait 4 ans que je travaille dans ce service, je suis assez bien au fait de l’histoire de la structure, des relations entre salariés, entre salariés et la direction, et j’ai mes propres avis sur les différents sujets abordés, je suis pour ainsi dire de parti pris. Je pense donc avoir été plus sensible à certains sujets que d’autres, et cette subjectivité a dû notablement influencer ma prise de notes.
Analyse
A travers les trois observations réalisées, on remarque que la pause-déjeuner dans cette structure revêt différents usages, qu’on peut regrouper sous plusieurs thématiques :
Cuisiner, réchauffer, se restaurer, partager de la nourriture :
J’ai pu remarquer lors des trois observations, que ces actions sont systématiquement présentes. (K, commence à cuisiner dès 12h35. Puis 2 autres / 3 personnes cuisinent ou utilisent MO / 13h début pause. 5 personnes utilisent MO et cuisinière. / St a commandé et attend sa livraison.
Que ce soit se faire à manger soi-même, à partir de denrées ramenées au bureau et conservées au réfrigérateur, réchauffer des plats surgelés, se faire livrer des plats par un service extérieur, le dénominateur commun de la pause est la préparation et/ou la consommation de denrées alimentaires et c’est ce qui amène les uns et les autres à venir dans la pièce. (Échanges sur contenus des assiettes, nouveautés Picard, équilibre des plats consommés.) Les échanges autour de qui mange quoi, des préférences des uns et des autres constituent généralement l’entrée en matière des discussions de ce moment. Ils servent d’introduction à d’autres sujets de conversations en permettant de s’appuyer sur du concret, comme les techniques culinaires, et de nourrir, au sens propre, les premiers échanges. (Croutons pour soupe partagés entre plusieurs collègues / Echanges sur les restes des ateliers pâtisserie du we partagés avec tous).
• Vie institutionnelle : faire équipe, collectif, gérer le commun
La plupart des échanges concernent la vie institutionnelle, l’inter-équipe, le collectif, même si certains peuvent le déplorer arguant que le travail s’immisce alors dans la pause. (AL demande autorisation à l’assistante de poser une question de boulot pdt pause, N réagit en disant que de tte façon, on parle tjs boulot pdt pause. Souvenirs de 2 anciennes collègues qui animaient souvent les discussions pendant la pause, notamment avec des blagues « sous la ceinture ». ) Ces échanges permettent d’abord de faire un lien entre les différents moments de la vie institutionnelle pour les employés : entre l’équipe du week-end et celle de la semaine, entre ceux qui travaillent de nuit et ceux qui exercent de jour. (Blague racontée par AL, rapportée par les surveillants de nuit ce we/ Crevaisons des 2 véhicules de service pendant le we et mesure de rétorsion directrice : un des 2 véhicules n’est plus accessible car trop endommagé).
Les échanges permettent aussi d’évoquer des sujets qui sont sensibles lorsqu’évoqués en réunion d’équipe ou bien dans le bureau des travailleurs sociaux, comme la prise des congés qui demande très souvent des compromis de la part des uns et des autres. (Discussions sur demande de CP, pas de chevauchement possible dans équipe, et introduction des CT à compter de janvier, également pas de chevauchements).
C’est aussi le cas du repas de fin d’année proposé par la directrice qui a valu à l’équipe, suite à l’interpellation des DP, un coup de semonce en réunion de la part de la chef de service qui avait jugé la réaction disproportionnée. (Repas salariés de fin d’année, proposé par directrice : scandale car des personnes auraient fait remonter au DP le fait de se sentir obligé d’y participé car programmé un mardi sur le temps de pause habituel : directrice déçue et en colère, qui a annulé le repas par mail. St a proposé une alternative en soirée, à l’extérieur / Retour sur repas de fin d’année entre salariés qui a eu lieu le vendredi d’avant, prix resto, choix des plats (végétariens/ poisson pour les personnes mangeant hallal) L’équipe charrie N qui est la seule aujourd’hui présente n’être pas venue au repas. Certains lui demandent en plaisantant si c’est elle qui avait demandé au DP d’aller voir directrice. Elle se défend, en disant qu’elle était dans le 91, et qu’elle travaillait le samedi matin.).
Ce sujet a également été évoqué lors de la supervision mensuelle de l’équipe et révèle des tensions, des suspicions au sein de l’équipe : qui a protesté ? Qui va oser assumer son point de vue ? Qui est finalement venu ?
Ces échanges interrogent le collectif, le faire équipe, d’autant plus que seuls les employés déjeunent en salle de pause, les cadres mangent dans leur bureau ou ailleurs. (Que des employés, chef service et directrice mangent dans leur bureau, 2 autres cadres mangent dans l’autre service). Les échanges observés permettent aussi de noter que la parole est assez libre : les salariés n’hésitent pas à critiquer ouvertement une décision de la directrice, ce qui ne se ferait pas forcément en collectif institutionnel. En émettant des réserves et par ces critiques, la pause sert également d’espace de régulation des désaccords employés/direction.
Les échanges tournent également autour de l’usage et l’entretien de cet espace commun, seule pièce ou employés techniques, administratifs et sociaux peuvent être ensemble. Les propos tournent alors beaucoup autour de la propreté, de la responsabilité commune du bon état des ustensiles communs. (C cherche une place et râle sur l’état de propreté du MO. N parle de l’état de propreté des couverts mis à disposition. / Ateliers pâtisserie et état cuisine qui n’a pas été correctement nettoyée : échanges vifs entre T et C qui n’admet pas que cela vient de l’équipe WE / Propreté des couverts : N informe qu’elle a désormais ses propres couverts / nettoyage des communs).
• La « pause dans la pause » : quand le travail s’immisce dans le hors travail
Si, de 13h à 14h, c’est l’heure de la pause, officielle, les salariés qui restent dans les locaux ne sont pas totalement déconnecter des questions de travail. Le temps de pause est pourtant considéré comme « sacré », un temps qui doit rester hors travail, et pourtant, plusieurs observations rendent compte de l’enchevêtrement du travail dans la pause. (AL demande autorisation à l’assistante de poser une question de boulot pdt pause, N réagit en disant que de tte façon, on parle tjs boulot pdt pause.) En effet, par le fait que des personnes des différents services soient rassemblées en un seul et même lieu, cela peut donner lieu à des échanges qui n’ont pas eu lieu dans le temps officiel de travail, parce que l’un ou l’autre n’était pas disponible ou que la proximité permet d’interagir.
Cet enchevêtrement est lié également au fait que la personne de JP (de permanence, ou d’astreinte, qui garde avec elle, de 9h à 17h le téléphone d’astreinte) mange généralement avec l’ensemble du groupe, au lieu de prendre sa pause en décalé de 12h à 13h, comme l’a indiqué la direction. En effet, certaines personnes de l’équipe se sont plaintes à la direction quelques mois auparavant que la pause de 13h à 14h avec le téléphone n’était pas vraiment une pause, puisque que la personne de JP devait rester disponible. La direction a donc suggéré que la personne de JP prenne sa pause de 12h à 13h et laisse pendant ce temps le téléphone à ses collègues. Cela a été fait quelques semaines, puis la personne de JP a rejoint le groupe de pause de 13h à 14h. Le téléphone d’astreinte est donc avec les employés pendant le temps de pause, et les habitudes sont que lorsque celui sonne, la personne de JP prenne l’appel sans sortir de la pièce. Lors d’un appel, les conversations en cours s’arrêtent, ou sont modifiées par l’objet de l’appel. (Tel sonne, T répond et communique avec le jeune (urgent et important). Apartés de l’ équipe sur ce jeune, dit menteur , majeur . N reprend le tel car il s’ agit de son référé, discussion sur salaire des apprentis en CAP. Plus personne ne parle, attention focalisée sur conversation tel. « pause pendant la pause » / Sms portable astreinte : un collègue prévient qu’il va être en retard la réunion de 14h / SMS d’un jeune sur portable astreinte, écrit en phonétique, rires équipe).
Le temps de pause est aussi un temps où on évoque les «jeunes », dénomination commune donnée aux usagers, que ce soit de manière collective ou individuelle. Les propos peuvent être factuelles ou bien plus sarcastiques, plus ironiques et permettent aussi de décompresser, de relâcher la soupape, de se lâcher, informellement. En ce sens, ces échanges agissent aussi comme des régulateurs car la posture du travailleur social, et ses nécessités éthiques et déontologiques, est alors un peu plus lâche. (E parle d’un jeune dont elle est référente avec qui c’est compliqué / apartés de l’équipe sur ce jeune, dit menteur, majeur.)
• Le hors travail : loisirs, vacances, préférences personnelles
Les échanges relevés au cours des trois observations permettent de noter que les personnes présentes donnent quelques éléments plus personnels sur leur vie hors travail, de leurs préférences personnelles. Ils sont de plusieurs ordres: ceux qui ont traits à la santé (Discussions sur maux de l’hiver : rhume, gastro, sale têtes, besoin de vacances / Douleurs cervicales pour 3 personnes).
Ceux qui ont trait aux vacances (passées, futures, en termes de préférence, d’activités pratiquées, de destinations) (Retour sur vacances de F, chef de service du X, ancienne collègue éduc: seul cadre présente ce jour-là, mais ne faisant pas vraiment du service, partie en Thaïlande : massages, bonne mine / discussions sur vacances, lieux visités, propreté de certains endroits, prochaines vacances).
La proximité des fêtes de fin d’année a été également l’occasion de recenser les projets des uns et des autres pour le jour de l’an, lors d’une sorte de tour de table animé par l’assistante, qui a demandé méthodiquement à chacun ce qu’il pensait faire. (Qui fait quoi pour réveillon jour de l’an, tour de table).
Cette discussion a ensuite dévié sur les partages des frais liés à l’organisation de moments festifs ou récréatifs comme des sorties au restaurant, et notamment sur le paiement de l’alcool. En effet, une partie de l’équipe est musulmane pratiquante et ne consomme pas d’alcool. Une collègue, ne consomme pas non plus d’alcool mais pour raison personnelle et non pas religieuse, et a, à cette occasion, pu évoquer un souvenir où elle campait sur sa position de ne pas partager la note du restaurant avec ceux qui avaient consommé de l’alcool. Discussions autour du partage des frais de réveillon, qui paie quoi / alcool pas alcool/
Rapport / argent famille, amis/ en fonction consommation alcool ou pas (pratiquant et non pratiquant, buveur et non buveur) Cette discussion, au-delà du sujet alcool/non alcool, permet de faire une distinction entre les différentes communautés religieuses, car il s’agit d’un marqueur assez fort dans l’équipe. Ces différences personnelles interviennent dans la vie de l’équipe, notamment par le biais de la nourriture (qui consomme quoi / quels aliments peuvent être préparés avec d’autres / repas des salariés à l’extérieur qui a permis, par le choix du restaurant opéré par la directrice, de contenter tout le monde grâce à la multitude de plats proposés).
La définition même de la pause au travail nous a amené à nous demander si ce temps était vraiment hors travail, un temps fait pour se poser, alors même que la salle réservée à cet effet se situe dans les locaux d’activités. Les observations conduites nous amènent à penser que les pauses observées au sein de l’établissement relèvent de différents usages.
Le premier usage est un usage fonctionnel, ce temps permet de répondre à un besoin primaire, se restaurer pour le déjeuner. Par contre, au vu de l’espace alloué, il ne permet pas à tout le personnel de prendre sa pause et de se poser en même temps, et au même endroit.
Mais la pause est aussi, pour beaucoup, un temps ou se construit, se maintient, se négocie le collectif de travail, les normes qu’il requiert, et qui passe par l’utilisation de cet espace et des objets partagés. C’est également un espace de régulation où, le moment étant informel, la parole est plus libre, elle circule de manière peut-être moins chargée que lors des espaces de négociations officiels, et notamment avec la direction et les cadres, absolument absents. Le temps partagé à cette occasion permet de discuter d’éventuels problèmes en amont, de recueillir informellement des informations liées à l’organisation, en place ou à venir, de la structure. La proximité des uns et des autres, voire la promiscuité induite par la pièce, explique peut-être que la parole reste relativement calme et apaisée, même si des remarques peuvent être révélatrices de certains tensions ou désaccords.
Les interférences avec l’activité professionnelle sont quasi continuelles, que ce soit par le biais des échanges entre les salariés, ou par « l’irruption des jeunes » via le téléphone d’astreinte. Ces interruptions ont été suivies, lors de notre terrain, par des moments de lâcher prise de la parole par rapport à l’accompagnement des jeunes, via l’humour, le sarcasme, l’ironie. Ces échanges permettent de mettre de côté, quelques instants la dimension éthique de l’accompagnement social conduit dans le travail, de mettre à distance des sujets parfois compliqués, ils sont comme une soupape de sécurité dans les relations usagers/professionnels. Si les évocations de la vie personnelle, des préférences singulières, des loisirs sont présentes, elles ne sont pas quantitativement plus importantes que les échanges liés au travail. Les pauses observées sont donc à la fois un continuum et une rupture avec l’activité quotidienne. Elles se situent à la frontière entre le travail, et le hors travail.
Il pourrait être intéressant de s’interroger sur les pauses des cadres, au sein de la structure, mais également d’étudier des pauses-déjeuners les autres jours de la semaine, ou sur une semaine complète, afin de voir, si, en fonction du nombre de personnes présentes dans la pièce, les interactions et les échanges diffèrent, notamment en terme de proportion travail/hors travail.