Une plongée chez les sous-traitants du parc industriel de Renault-Sandouville témoigne des transformations qui se sont opérées dans le monde industriel au cours des trois dernières décenniesArmelle Gorgeu et René Mathieu, « L’obsession du flux tendu : les usines d’équipement automobile des parcs industriels fournisseurs », in Danièle Linhart et Aimée Moutet, Le travail nous est compté. La construction des normes temporelles du travail, La Découverte, 2005..
Ces fournisseurs, qui conçoivent portes, sièges et autres composants destinés à des véhicules du constructeur, vivent à l’heure de la Lean production : leur activité doit être parfaitement synchronisée avec la chaîne de montage de Renault, afin que celle-ci ne s’arrête jamais. Un retard, et c’est une amende qui tombe. Leur donneur d’ordre les informe en continu de ses besoins (quels accessoires, pour quel modèle).
À charge pour le fournisseur de s’adapter immédiatement. Cela suppose pour les salariés de pouvoir assumer plusieurs postes de travail et plusieurs tâches (production, contrôle de qualité, analyse d’information). La journée se déroule ainsi, marquée par un stress récurrent, lié à l’obligation de concilier simultanément les exigences du flux tendu et le respect des normes de qualité.
Dans Le système qui va changer le monde (Dunod, 1992), les chercheurs américains James Womack, Daniel Jones et Daniel Roos ont été, au début des années 1990, parmi les premiers à désigner le nouveau modèle d’organisation du travail appelé selon eux à remplacer définitivement la production de masse taylorienne. Inspiré du constructeur japonais Toyota, ils le désignent sous le terme de « lean production », qui signifie littéralement la « production dégraissée », ou encore « production au plus juste ». Elle cherche en premier lieu à réduire les stocks au minimum, faisant fabriquer à chaque étape de la production le volume exact dont on a besoin : la chaîne de production opère en « flux tendu ».
Elle vise en deuxième lieu à répondre rapidement et efficacement à une demande diversifiée et changeante : à l’exigence de rendement, elle ajoute l’impératif de flexibilité de la production, ce qui incite Philippe Askenazy à parler d’un « productivisme réactif » (Les désordres du travail, Seuil 2004).
Elle s’attache en dernier lieu à améliorer la qualité des produits. Ces trois objectifs sont obtenus grâce à une organisation du travail reposant sur la polyvalence, la polycompétence et le travail en équipes autonomes. La polyvalence des personnels conditionne la capacité de l’entreprise à s’adapter rapidement à une demande changeante. Leur polycompétence leur permet d’effectuer en plus des tâches de production, celles de contrôle de la qualité et de réaction aux informations qui leur sont communiquées. Le travail en équipe fait tenir ensemble ces impératifs, chaque membre du groupe assumant l’une des tâches à un moment donné.
Un tel mode d’organisation du travail tend à se diffuser dans l’économie. Grâce à son réseau interne de communication, l’entreprise de prêt-à-porter espagnole Zara fait remonter au jour le jour de ses magasins des informations relatives au niveau des stocks et aux goûts de la clientèle, relayées par une équipe de 200 stylistes, capables de renouveler les collections tous les 15 jours. Cette réactivité, que Gap peine à égaler, elle qui a délocalisé sa production en Asie, a fait de Zara la nouvelle coqueluche des écoles de management.
Dans Sciences Humaines :
Bibliographie :
Philippe Askénazy, Les désordres du travail, Seuil, 2004
Jean-Pierre Durand, La chaine invisible, Seuil, 2004
Mathieu Bunel et al., « Formes d’organisation du travail et relations de travail »,
Centre d’études de l’emploi, document de travail n° 53, décembre 2008.