La financiarisation de l’économie a des impacts très concrets pour les salariés. Parmi ces impacts, la généralisation du travail « au forfait » : d’un point de vue comptable, la production n’est plus rémunérée en fonction des coûts engagés (le temps passé et les moyens mis en œuvre), mais en fonction des objectifs financiers qui sont assignés à l’entreprise par l’actionnaire.
Une illustration de cette évolution est la Tarification à l’Acte (ou T2A) à l’hôpital. En effet, depuis 2007, la facturation et le paiement des activités hospitalières se fait dans une « logique de résultats ». Là où la logique de moyens prévalait, ce sont désormais les recettes issues des activités hospitalières qui déterminent les dépenses… et non plus l'inverse. Telle pathologie verra ainsi le versement d’une somme forfaitaire dans les comptes de l’hôpital, quels que soient les soins réellement engagés et donc quel que soit l’état de santé du patient et ce qu’il a été utile de faire pour le soigner. On retrouve cette façon de procéder dans l’ensemble de l’économie (industrie, services, commerces, administration, …).
Depuis plusieurs années, les entreprises recherchent des modes d’organisation du travail adaptées à ces nouvelles contraintes. L’objectif est de pouvoir réaliser les tâches requises à un coût objectif, quelle que soit la réalité des activités et les contextes de travail. Elles ont trouvé une solution dans le « lean management » (littéralement « management mince »), également appelé « excellence opérationnelle ».
Malheureusement, de nombreuses études (dont une étude européenne) montrent que le lean dégrade très fortement les conditions de travail. Il s’attaque non seulement au corps (avec l’augmentation des tendinites, lombalgies etc.) mais aussi à l’esprit, avec une augmentation avérée du stress, de l’angoisse et du sentiment de réaliser du « sale boulot ».
De plus, la vague du lean est une vague de fond. Il est déployé dans l’ensemble des secteurs de notre économie, parfois avec l’argent des travailleurs eux-mêmes. C’est par exemple le cas dans les Régions, où l’on compte de nombreux programmes de déploiement du lean dans les PME. Sont ainsi engagé plusieurs millions d’euros d’argent public.
Bercy, régulièrement mis sous pression par les cabinets conseils qui vendent du lean, organise des colloques et communique désormais très clairement sur la nécessité de déployer l’excellence opérationnelle. On lira par exemple sur un site internet ministériel que « la diffusion des démarches qualité et d'excellence opérationnelle dans les entreprises pour améliorer leur compétitivité est nécessairehttp://www.redressement-productif.gouv.fr/dgcis/qualite-quelques-notions... ».
Or, face au déploiement massif du lean dans les organisations du travail, il est urgent de procéder à une évaluation de ses effets. Le prix à payer pour les salariés pourrait en effet être très fort. De nombreuses voix s’élèvent en outre pour montrer que le lean, outre la dégradation de la santé des travailleurs qu’il provoque, pourrait s’avérer délétère pour la qualité de la production. Il est peut-être temps de nous dire que le redressement productif de la France ne peut pas se faire au détriment du travail bien fait et de la santé des salariés !
L'auteur :
Bertrand Jacquier est expert agréé auprès des CHSCT au sein du cabinet ISAST, auteur de « du lean au management maigre » Ed. Collectif Travail Réel (2013).